Anecdote: l'histoire en prose, du docteur Pinard de Saint-Gérard en 1914

Voici l'histoire anecdotique, écrite en prose, d'un certain docteur Pinard habitant Saint-Gérard. En août 1914, celui-ci étant amateur de grands vins et devinant que sa précieuse cave n'allait pas tarder à être pillée par les Allemands, décida de l'ouvrir aux valeureux soldats bretons.

Cette oeuvre fut réalisée par le poète Philippe Maudoux, un spécialiste en wallon du namurois. Le poème fut en son temps primé par différent prix lors de concours:

Distinction : médaille de la ville de Saint-Emilion
Troisième prix Fleur de Vigne (Poésie) 
Prix d’honneur aux grand prix Internationaux de Wallonie

Philippe Maudoux est né à Mettet en 1914 et y a résidé pendant 25 ans. Il fut horloger à Florennes et est décédé 2004.
Voici donc l'histoire tel que Philippe Maudoux l'a écrite :
 

Le saviez-vous ?

(récit historique)

Ce furent quand même des braves, les Algériens, les Zouaves,
Venus épauler les Bretons et plusieurs régiments wallons.
Si la défense de Namur ne fut pas une sinécure,
C’est que l’ennemi vaniteux était grandement belliqueux.
En un Clin d’œil, la citadelle s’effondra comme une chapelle.
Le lendemain quelques poilus se trimbalaient tels des perdus
Sur une route de campagne à l’orée de la Marlagne.

Une calèche aux fins brancards se dirigeait vers Saint-Gérard.
Près des soldats, elle s’arrête. « Dis donc cocher, tu nous la prêtes ? »
Dit l’un d’eux, pour met’ nos flingots et planquer l’pot qu’a mal au dos.
-Volontiers, venez à votre aise. Installer-vous… à la française !
Que puis-je donc faire pour vous ? Vous conduire quelque part ? Où ?
-A boire, c’est à boire, à boire ! – J’ai compris ; venez chez Pinard.
Ce bon médecin de chez nous loge au chemin de Maredsous.

-Soyez bonne, soyez patiente, dit le docteur à sa servante.
Ouvrez, dit-il, la cave à vins avant l’arrivée des Germains
-Ah ! dit un gars, y-en-a des fioles ! On va s’rincer l’bec au Pomerol.
On aurait pu facilement abreuver tout un régiment.
A la guerre comme à la guerre, tout le monde s’est assis par terre.
Entre temps sautaient les bouchons de poussiéreux Saint-Emilion.
Flanqués d’un Pernand Vergelesse. -Grand vin, je bois, mais verre je laisse,
clamait l’un des soldats français. –Dégustons donc un Beaujolais.
-Il y a mieux dans l’autre cave, dit le cocher, entre autres un Grave.
Il a pour voisin de cellier, un Sauvigny et un Gevrey.
Malgré toute ma sympathie pour Beaune et le Monthelie, 
Savourons un moelleux Fronsac et sacrifions un vieux Pauillac.
Toujours est-il que les bouteilles se vidaient du jus de la treille.
Les Saint-Estephe et les Margaux succédaient aux grands Echezeaux.
L’assemblée était en goguette jusqu’à pousser la chansonnette.
Dans la soirée, tous les soudards nommaient tous les vins du « Pinard ».
Le vieux cocher faisait en somme, fonction d’échanson-majordome.
L’évocation des durs combats ne les grisaient pas ce soir-là.
On avait beau chanter victoire, c’était quand même aléatoire.

Durant  une semaine d’août, au lieu d’écouter les binious,
On a brandi les baïonnettes et appuyé sur les gâchettes.
Que de jeunes furent fauchés pour nous, pour notre liberté !
Heureux ceux qui eurent la chance  de revoir le beau ciel de France !
A leurs parents, à leurs amis, ils firent souvent le récit
De leurs aventures guerrières. Ils dirent, baignant leurs paupières :
« Qu’il était bon Monsieur Pinard, qui nous reçut à Saint-Gérard ! »

Note de l’auteur : 
L’aventure a été vécue en août 1914 chez le docteur Pinard à Saint-Gérard.

L'enfant au chapeau dans cette rue de Mettet n'est autre que Philippe Maudoux

 

Philippe Maudoux 1914-2004, lors de la St Pierre 

 

Si ce premier texte est écrit dans la langue de Molière, Philippe Maudoux excellait surtout en wallon, du namurois, précisait-il. La langue parlée par nos aïeux de Mettet en 1914. Bien que les patois différentiaient même entre deux villages voisins. Ainsi ma grand-mère originaire de Mettet, se plaisait à dire qu'elle ne parlait pas comme à Oret, village de son époux. 

Voici donc une oeuvre de Mr Maudoux écrite en wallon namurois. Signalons que chaque mot utilisé, l'est de façon très précise, dans ce dialecte wallon bien particulier.

Voici "Li scorion" ou si vous préférez en français:  "Le lacet"  

Li scorion


Tot vos sondjant, moman, dj' ai sti coude sacwants fleurs
Come dji n' avè pont d' cwade po les sawè nuker,
Dji m' ai siervu d' ambléye d' in scorion d' mes solés.

(En rêvant de toi, maman, je cueillis quelques fleurs / Comme je n'avais pas de ficelle pour les nouer / Je pris un lacet de mes souliers.)
 
Ossi fiér k' Artaban, dji tnè l' bouket su m' keur
Dji m' rafiè d' vos l' ofru et d' vos vey tressiner.
C' astèt dandjreus trop bia, trop bia po yesse li vraiy.

(Fier comme Artaban, je tenais le bouquet sur mon cœur / Je me réjouissais à l'idée de te l'offrir et de te voir tressaillir d'émotion / C'était sûrement trop beau pour être vrai.)
 
Dj' astè disguernachi come yink ki n' sét nin l'eure.
Dji sintè bin ki m' pî chalbotèt din m' solé
Min dj' astè lon d' sondji ki dj' alè trèbuker.

(J'étais déboussolé comme quelqu'un qui ne sait pas quelle heure il est / Je sentais bien que mon pied avait du jeu dans mon soulier / Mais j'étais loin de songer que j'allais trébucher.)
 
Li bouket k' dj' avè fait, moman, au ptit boneur,
S' a sauyi su pont d' timp, djè l' ai veyu rider
Din les potias del vôye, machurès d' mannestès.

(Le bouquet que j'avais fait, maman, au petit bonheur / S'est éparpillé en moins de temps qu'il ne faut pour le dire, et je le vis glisser (et tomber) / Dans les flaques d'eau de la route souillées de saletés.)
 
Ni vz è fioz nin, moman, ci n' est nin in maleur.
Gn a co des fleurs lauvau; dji m' è va nnaler cwer
Après k' dj' aurai rlaci in scorion a m' solé.

(Ne te fais aucun souci, maman, ce n'est pas un malheur. / Il y a encore des fleurs là-bas, je vais aller en chercher. / Après que j'aurais renoué un lacet à mon soulier.)

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