Récit de Joseph Berlier, pharmacien à Mettet, sur les premiers jours de guerre en août 1914
Récit de Joseph Berlier Pharmacien à Mettet
Notes personnelles concernant le 1er mois de la guerre à Mettet
Joseph Berlier Pharmacien à Mettet | Pharmacie Berlier sur la place de Mettet. Actuellement la taverne "Le Paradis". |
Quelques jours après la déclaration de guerre de l'Allemagne à la Belgique, on forma une "Garde Civique" pour garder les routes et les ponts. L’ennemi pouvait venir, nous étions bien armés : des gourdins ou des carabines à moineaux.
La garde civique non active dans un village belge. L'homme à droite porte un sabre briquet de l'armée napoléoniènne.
Article de la Gazette de Charleroi, vendredi 07 août 1914. Jusqu’au 15 août, rien d’anormal si ce ne sont quelques patrouilles de soldats belges dont une douzaine de guides, qui provoquent la fuite éperdue d’un poste de la garde civique qui croyait voir arriver des uhlans.
Le 15 dans la matinée, on entend le canon dans la direction sud-est, on distingue même le bruit des mitrailleuses. Vers 15H00 arrivée des premières troupes françaises dans des autobus de Paris : grande animation dans la localité ! Les soldats sont enthousiastes. Ils vont à Berlin : Sur les autos, il y a des inscriptions à la craie telles que « embrassez les Alsaciens de la part des Parisiennes ». Passage des cuirassiers et dragons.
Premières troupes françaises à Fosses-la-Ville
Fonds Comité du Souvenir de Le Roux / D.Tilmant
Autobus réquisitionnés
Août 1914. Dragon descendant Fosses-la-Ville.
Source G.Gay
Août 1914. Escadron de cavalerie légère en Entre-Sambre-et-Meuse
Source G.Gay
Le 16, toute la journée, passent des convois et des troupes qui se dirigent vers le nord.
18 et 19 : rien de spécial
Le 20 au matin, on vit arriver des cavaliers isolés (des chasseurs d’Afrique), ils s’avançaient avec circonspection semblant redouter la présence de l’ennemi dans la localité.
Document inédit: très belle photo d'un chasseur d'Afrique
lors de la campagne de Belgique en 1914
Quelque temps après arriva l’infanterie, puis l’artillerie qui fut parquée dans le voisinage. Le lendemain, passage de nouvelles troupes, on entend le canon dans la direction du nord. Un soldat me demande en passant «c’est bien le chemin de l’abattoir ? ». Pendant la nuit défilent des troupes coloniales.
Le 22 : le canon se rapproche, il passe des convois de blessés.
Dans l’après-midi, on raconte que les Allemands sont repoussés, ce qui a l’air de confirmer ce bruit, c’est qu’un grand état-major vient d’arriver et paraît s’installer à demeure. Mais à peine les officiers de cet état-major sont-ils installés, qu’ils replient tous leurs bagages et retournent vers le sud. »
L’exode :
« Bientôt les gens du pays de Sambre arrivent. Ils sont affolés et racontent toutes des choses effrayantes. Les habitants de notre localité s’effrayent à leur tour, rassemblent ce qu’ils ont de plus précieux et partent, laissant tout à l’abandon ! C’est un spectacle lamentable que ce défilé : hommes et femmes lourdement chargés, enfants qui s’accrochent aux jupes des mères, vieillards infirmes portés sur les épaules de leur fils ou conduits sur des brouettes. Beaucoup pleurent, d’autres hagards suivent aveuglément.
Vers 6H00, je partis vers Biesme à la maison de mes parents. Je fis route avec des soldats qui revenaient de la bataille. Ils étaient tristes et consternés : la plupart de leurs camarades avaient été tués.
Presque tous les habitants de Biesme avaient fui. Je trouvai mes parents chez eux et mon frère étudiant au grand séminaire de Tournai qui, portant le brassard de la croix rouge de Belgique, venait de rentrer de l’ambulance où il avait soigné les blessés toute la journée.Toute la soirée, les troupes du combat de la Sambre repassèrent, les soldats étaient harassés, mourant de faim et surtout de soif : nous leur distribuâmes pain, biscuits et de l’eau.
Vers 8H00 un officier me conduisit à l’hôtel de ville où était l’état-major. Les officiers étaient très affairés, ils avaient étalé de grandes cartes sur la table et avaient très difficile à retrouver les villages et les hameaux, ils me demandèrent des renseignements sur les environs : Wagnée, Fromiée.
Et puis, je pus partir. Je rencontrais des soldats de toutes les armes, des lignards, des dragons qui n’avaient plus de chevaux, des artilleurs qui avaient perdu leur batterie, mais très peu de civils.
Vers 10H00 on frappe à notre porte! C'étaient plusieurs officiers français qui venaient de Philippeville avec un régiment et qui devaient se rendre à Fromiée (Gerpinnes) et ne connaissaient pas du tout le chemin. Ils me conduisirent devant le Colonel qui me pria de les conduire. On se mit en route à la sortie du village. Le Colonel fait ses recommandations, fait charger les armes: cinq soldats en avant baïonnette au canon. "Vous" me dit-il, "vous les accompagnerez avec cet officier, en cas d'alerte couchez-vous dans le fossé. Le régiment suivra à cent mètres".
Nous arrivâmes au hameau sans rencontre fâcheuse: on entendait dans les champs un grouillement d'hommes, chevaux, charriots mais dans l'obscurité on ne pouvait rien distinguer. Il n'y avait plus personne à Fromiée, nous frappâmes à plusieurs portes mais en vain!
Je renseignai au Colonel un petit bois tout proche où l'on entendait du bruit. "Les Allemands y sont probablement" me dit-il. Il ordonna à ses hommes de chercher des charriots et de les mettre en travers de la route, l'ensemble entrelacé avec des fils de fer. Il recommanda de faire le moins de bruit possible et de ne pas faire de lumière puis il me remercia et me permit de retourner. "Le mot de passe est Naples" me souffla-t-il à l'oreille. Je fus arrêté en rentrant à Biesme mais au mot, je pus passerLe 23 au matin, je retournais à vélo à Mettet ; il y avait du brouillard. Je vis des soldats (des turcos) près des meules, où ils avaient dormi, préparant leur déjeuner. Rentré chez moi, je descendis dans la cave linges, costumes, etc… Je vis passer quelques soldats français avec un officier qui jurait, mais ses hommes ne voulaient pas aller plus loin. Un avion vint survoler l’endroit et aussitôt un obus éclata au-dessus de nos têtes. Je n’attendis pas davantage ni les soldats qui disparurent. »
Je me réfugiai vivement dans la cave d'une maison voisine où se trouvaient ma servante et la propriétaire de la maison, une dame de 70 ans.
C’était un hurlement de mitraille épouvantable. On eût dit que tout le village était renversé, mais on se fait à tout et je sorti de la cave et remarquai qu'il n'y avait rien d'atteint.
Je vis les obus tomber sur la campagne et éclater avec fracas. Les batteries françaises tiraient du côté de Saint Donat dans la direction de Biesme. De soldats, je n'en voyais plus. De retour chez moi, je grimpai sur le toit et scrutai le pays avec une longue vue. Alors je vis les Français qui étaient au bois d’Halloy, ils sortaient du bois, faisaient le coup de feu, puis rentraient. J’aperçus aussi les Allemands qui s’avançaient tenant devant eux des gerbes de paille. Vers 17H00, le combat s’anima d’avantage. De nouveaux renforts étaient arrivés aux Allemands : j’entendis les coups de fusil et les « tac-tac » des mitrailleuses. C’était à Wagnée que se déroulait le combat. J’entendais les hurlements gutturaux des prussiens, les freins des autos…
Puis comme le soir tombait, un cri sortit du bois « Vive la France », et ce fut le silence. Seules les mitrailleuses allemandes continuaient leur musique infernale.
Je commençais alors à voir des incendies sur Biesme et dans les champs. J’entendis les appels sinistres des blessés et des mourants abandonnés sur le champ de bataille.
Le Pharmacien Berlier, décrit l’arrivée des Allemands à Mettet et les scènes de pillage qui s’en suivi :
Le lendemain 24 août au point du jour, nouvelle canonnade, c’était les Allemands qui arrosaient le terrain. Bientôt, je les vis arriver, c’étaient tous des grands hommes s’avançant en bon ordre, très vite et ne s’arrêtèrent pas. Par tous les petits chemins, ils se dirigeaient vers les lieux du combat de la veille. Bientôt la cavalerie passa au trop se dirigeant sur Florennes. Puis des canons, caissons, batterie de cuisine ; parfois sur deux rangs. Parfois un arrêt alors les soldats sautaient des chevaux et entraient dans les maisons, mais ils visaient surtout les pâtisseries et magasins. Ils en sortaient avec pains, liqueurs et faisait part à leurs camarades, et au coup de sifflet sautaient sur leurs chevaux. Cela dura plusieurs heures.
Dans l’après-midi, le gros de la troupe fit son entrée au son des tambours et des fifres. Ils formaient les faisceaux de fusils sur la place. Je fus aussitôt conduit au milieu d’eux.
Aout 1914, une colonne allemande fanfare en tête descend la chaussée à Fosses-la-Ville Je remarquais alors comme ils étaient bien équipés, on aurait dit des soldats sortant de la caserne pour une revue. Ils me demandèrent : Françouzes partis ? Probablement répondis-je. Me montrant l’église, ils me demandèrent « église évangélique ? » Non catholique romaine.
Alors ils m’ordonnèrent de les conduire dans une boucherie.Arrivé là, la maison était remplie de soldats qui croyant voir arriver le patron, manifestaient leur joie en venant casser la vaisselle à mes pieds. Rentré chez moi, je trouvai ma maison envahie de la cave au grenier, tout en dessus et dessous. Je me tins dans la pharmacie. Quelques-uns vinrent me demander différents objets mais oublièrent de payer puis en arriva d’autres qui ne me demandèrent plus rien mais prirent à leur guise. Ils demandaient sans cesse « chocolade » et finirent par trouver des pastilles purgatives au chocolat qu’ils engloutirent goulûment.
Prinz Friedrich Karl von Hessen
(Prince de Hesse)
Un médecin de la garde assez âgé vint me demander différents renseignements : il avait plutôt l’ai de m’interroger pour vérifier si j’étais bien pharmacien. Finalement il me fit un bon pour un rouleau d’emplâtre. Etant sorti dehors, un soldat vint me parler, il dit qu’il était étudiant à l’université, que le pillage d’une ville était triste mais que l’on devait bien donner cela aux soldats après un combat ! d’ailleurs que les habitants étaient partis et qu’ils pouvaient prendre tout ce qu’ils voulaient. Il me conseilla de rester chez moi et de ne pas m’aventurer dehors. Il me nomma alors plusieurs officiers qui passaient montés sur de superbes chevaux : je me rappelle du prince de Hesse. Etant rentré chez moi, un sous-officier me demanda si je n’avais pas d’arme. Ayant affirmé que non, il me conduisit près d’un meuble et l’ayant ouvert, me montra mon revolver. Il le mit en poche et me dit de me taire car si le chef le savait, je n’en aurai pas pour longtemps.
Dans l’après-midi était arrivé un assez grand nombre de prisonniers belges couvert de poussières et délabrés qui furent enfermés dans l’église.
Deux femmes allemandes arrivèrent avec une voiture de bagages pour le général et préparèrent le repas qui fut servi au 1er par des soldats en tabliers blancs. Ils avaient ordonnés aux soldats d’apporter tout le champagne qu’ils trouveraient. On entendait les portes des maisons que les soldats enfonçaient, les vitres voler en éclats. Vers le soir, ils étaient tous ivres, beaucoup se costumèrent en femmes et se promenaient avec des lanternes vénitiennes.
La pharmacie Berlier se trouvait sur la place de Mettet en 1914.
Actuellement brasserie Paradis.
Soldats allemands lors des pillages. L'un d'entre eux s'est costumé en femme! Je fus autorisé à dormir dans mon bureau sur le parquet. Toutes les autres pièces étaient occupées par les soldats.
Le lendemain matin (25), je me mis en route pour Biesme. Je voyais des soldats partout : il y avait de grandes tentes qui étaient toutes remplies de soldats. Je pus arriver jusqu’aux premières maisons sans être arrêté mais tout à coup, je fus appréhendé par quelques soldats qui achevaient de brûler ce qui n’avait pas été consumé par le feu. Je leur montre le bon que le médecin de la garde m’avait donné et je leur dis que j’allais voir mes parents. Ils me donnèrent 20 minutes pour y aller. Je trouvai mes parents dans la désolation, la maison avait été épargnée mais mon pauvre frère avait été emmené depuis hier et ils étaient sans nouvelle. Je ne pouvais pas savoir quel avait été son malheureux sort. Conduit avec les troupes à Oret, ils l’avaient assassiné près de la chapelle Saint Hubert sur la route de Fraire, avec un jeune homme appelé Bodart.Retournant à Mettet, quelqu’un me dit que ma maison brûlait. Cela me laissa complétement indifférent : après tout ce que je venais de voir !
Etant rentré, je vis que ce n’était pas ma maison qui était en flammes mais celle du confrère (pharmacie Chauvaux). Un officier m’avait demandé le matin si ma maison m’appartenait et j’avais remarqué qu’il notait dans un carnet le numéro de maison.
L’après-midi, un sergent et quelques hommes allaient de maison en maison ramassant les rares habitants qui s’y trouvaient et les conduisaient à l’école. Etant venu chez moi, ils me dirent de me tenir caché parce qu’ils ne savaient pas ce qu’on allait faire des habitants. Ayant été obligé de sortir pour rendre service à quelques personnes, je fus appréhendé et conduit devant le chef. Il poussait des sons rauques et était armé d’une badine menaçante. Pensant passer la nuit dehors, j’étais revêtu d’un gros pardessus or il faisait très chaud, c’était ce qui l’intriguait et j’avais très difficile à lui donner des explications. M’empoignant pas le bras, il me poussa dehors en disant «es mit all brennt» « qu’il brûle avec les autres ». Je fus enfermé alors dans l’école où se trouvaient de nombreux concitoyens incertains de leur sort. A côté brûlaient des maisons, il y faisait très chaud, alors des soldats qui nous gardaient brisèrent quelques vitres. Puis le général arriva avec un interprète belge qui me dit que nous étions otages et que si un soldat venait à périr, nous serions tous fusillés. Puis il revint encore, fit sortir les femmes et disant que nous passerions la nuit ici, que c’était les civils qui mettaient le feu aux maisons et que si les maisons brûlaient encore, nous y passerions. Quelques temps après, nous avons pu sortir.
Il passait encore des troupes, c’était quelque chose de colossal !
Aussi loin que l’on pouvait voir, ce n’étaient que des piques des casques à pointe
et des baïonnettes au canon des fusils.
Les soldats marchaient dans un ordre admirable en chantant « la garde du Rhin ».
Cela représentait quelque chose de terriblement impressionnant et je me disais :
« Quelle force pourrait jamais arrêter une armée pareille ? »Les jours suivant, il passa de nouvelles troupes qui continuèrent les pillages et ramassèrent ce que les autres n’avaient pas pris. Puis passèrent également de grosses pièces d’artillerie traînées par des tracteurs (soldats autrichiens).
Fin du récit
Tracteur d'artillerie allemand "Lanz" à deux roues motrices
2014 lors des commémorations à Biesme Louis Berlier, fils de Joseph, rend un dernier hommage à son oncle fusillé 100 ans plus tôt. |